Notre lettre 1281 publiée le 3 octobre 2025
UN ÉVÊQUE PARLE
" LE PRINTEMPS CONCILIAIRE N’A PAS EU LIEU"
Mgr Marian Eleganti, Suisse naquit dans le canton de Saint-Gall en 1955, entré chez les bénédictins missionnaires de l’abbaye de Saint-Otmarsberg, dont il devint abbé en 1999, il fut nommé par Benoît XVI, en 2009, évêque-auxiliaire de Mgr Vitus Huonder, évêque de Coire, le plus étendu des diocèses de Suisse. Docteur en théologie, polyglotte, il assista Mgr Huonder, évêque très classique qui succédait à des évêques de même ligne sur ce siège, Mgr Vonderach et Mgr Haas. La Conférence des Évêques le chargea de la jeunesse pour la partie germanophone et italophone de la Suisse. Après la démission de Mgr Huonder, le pape François nomma pour lui succéder, en 2021, Mgr Joseph Bonnemain, issu de l’Opus Dei, prélat particulièrement progressiste (le pape avait préalablement refusé à deux reprises les noms que le chapitre de Coire lui avait présentés selon le privilège qu’il avait conservé). Mgr Eleganti, bien qu’il n’ait eu alors que 65 ans, préféra démissionner. Il se consacre depuis dans sa retraite à un apostolat très actif. Il a accompagné en 2024 le pèlerinage Summorum Pontificum à Rome.
L’article qui suit a été publié initialement en anglais dans The Remnan du 15 septembre 2025 sous le titre: « Swiss Bishop calls Vatican II "a ruthless disruption", says the proclaimed springtime never happened ». La version française ci-après a été enrichi et revue avec soin par Mgr Eleganti, qui a bien voulu nous autoriser à la publier.
Deuxième concile du Vatican : le printemps annoncé n'a pas eu lieu
Ce n’est pas ici un « regard en arrière empreint de colère », mais une analyse critique de l'évolution de l'Église depuis le concile Vatican II – Une contribution de l'évêque auxiliaire émérite Marian Eleganti
Je suis né en 1955 et j'étais un enfant de chœur enthousiaste pendant mon enfance. Au début, je servais selon l'ancien rite, toujours un peu nerveux à l'idée de pouvoir me tromper dans les réponses en latin, puis j'ai été reconverti à la nouvelle messe au milieu de l'activisme postconciliaire.
Enfant, j'ai été témoin de l'iconoclasme dans la vénérable église Sainte-Croix de ma ville natale. Les autels néo-gothiques sculptés ont été démolis sous mes yeux d'enfant. Il ne restait plus que l'autel face au peuple, le chœur vide, la croix dans l'arc triomphal du chœur, Marie et Jean à gauche et à droite sur des murs blancs et nus. De nouveaux vitraux expressifs, inondés par le soleil levant à l'est. Rien de plus : ce fut une mise à nue sans précédent. Nous, les enfants, trouvions tout cela normal et approprié et nous avons économisé avec assiduité pour payer le nouveau sol en pierre afin d'apporter notre contribution à la réforme ou à la rénovation de l'église.
L'euphorie du Concile a été portée partout par les prêtres, des synodes ont été convoqués, auxquels j'ai moi-même participé en tant qu'adolescent. Je ne comprenais absolument pas ce qui se passait.
À 20 ans, j'étais novice et j'ai vécu de près et douloureusement les tensions liturgiques entre les traditionnels et les progressistes parmi les réformateurs. De nouvelles professions ecclésiastiques ont été introduites, comme celle d'assistant pastoral (généralement marié). Je me souviens de mes remarques critiques à ce sujet, car les tensions et les problèmes qui se profilaient lentement entre les consacrés et les non-consacrés étaient prévisibles dès le début. La chute du nombre de candidats au sacerdoce était prévisible et est rapidement devenue visible.
Adolescent, j'avais une attitude favorable sans réserve envers le Concile, et plus tard, j'ai étudié ses documents avec une confiance fervente. Néanmoins, depuis l'âge de 20 ans, j'ai remarqué certaines choses : la désacralisation du chœur, du sacerdoce et de la Sainte Eucharistie, ainsi que de la communion, et l'ambiguïté de certains passages des textes conciliaires. Je l'ai très vite constaté, moi qui étais alors un jeune laïc sans formation théologique.
Même si le sacerdoce était depuis mon enfance l'option la plus forte dans mon cœur, je n'ai été ordonné prêtre qu'à l'âge de 40 ans. J'ai grandi avec le Concile, et dans les années qui l’ont suivi, j'ai pu observer son impact depuis qu'il a eu lieu. Aujourd'hui, j'ai 70 ans et je suis évêque.
Rétrospectivement, je dois constater que le printemps de l'Église n'a pas eu lieu ; ce qui est arrivé, c'est un déclin indescriptible de la pratique et de la connaissance de la foi, une absence de forme et un arbitraire liturgiques largement répandues (auxquelles j'ai moi-même contribué en partie, sans m'en rendre compte).
Avec le recul, je porte un regard de plus en plus critique sur tout cela, y compris sur le Concile, dont la plupart ont déjà dépassé les textes, en invoquant toujours son esprit. Que n'a-t-on pas confondu avec le Saint-Esprit, que ne lui a-t-on pas attribué au cours des 60 dernières années ? Que n'a-t-on pas appelé « vie » alors que cela n'apportait pas la vie, mais la détruisait ?
Les soi-disant réformateurs voulaient repenser la relation de l'Église avec le monde, réorganiser la liturgie et réévaluer les positions morales. Ils continuent de le faire. Leur réforme se caractérise par la fluidité de la doctrine, de la morale et de la liturgie, l'alignement sur les normes séculières et la rupture postconciliaire et impitoyable avec tout ce qui existait auparavant.
Pour eux, l'Église est avant tout ce qu'elle est depuis 1969 (Editio Typica Ordo Missae. Card. Benno Gut). Ce qui existait auparavant peut être négligé ou a déjà été révisé. Il n'y a pas de retour en arrière possible. Les plus révolutionnaires parmi les réformateurs ont toujours été conscients de leurs actes révolutionnaires. Mais leur réforme postconciliaire, leurs desseins, ont échoué – sur toute la ligne. Ils n'étaient pas inspirés. L'autel face au peuple n'est pas une invention des Pères conciliaires.
Je célèbre moi-même, y compris en privé, la Sainte Messe selon le nouveau rite. Mais en raison de mon activité apostolique, j'ai réappris l'ancienne liturgie de mon enfance et je vois la différence, surtout dans les prières et les postures, mais aussi bien sûr dans l'orientation.
Rétrospectivement, l'intervention postconciliaire dans la forme très constante de la liturgie traditionnelle, vieille de près de deux mille ans, m'apparaît comme une reconstruction assez violente et provisoire (imposée par la Commission liturgique de Bugnini) de la Sainte Messe dans les années qui ont suivi la fin du Concile, qui a entraîné de grandes pertes qu'il convient de réparer. Cela s'est également produit pour des raisons œcuméniques. De nombreuses forces, y compris du côté protestant, ont directement contribué à aligner la liturgie traditionnelle sur la Cène protestante et peut-être aussi sur la liturgie sabbatique juive. Cela a été fait de manière élitiste, disruptive et imprudente par la Commission liturgique romaine et a été imposé à toute l'Église par Paul VI, non sans causer de grandes fractures et déchirures dans le Corps mystique du Christ, qui subsistent encore aujourd'hui.
Une chose est sûre pour moi : si l'on reconnaît l'arbre à ses fruits, une réévaluation impitoyable et sincère de la réforme liturgique postconciliaire s'impose de toute urgence : honnête et méticuleuse sur le plan historique, non idéologique et ouverte comme la nouvelle génération de jeunes croyants qui ne connaissent ni ne lisent les textes du Concile. Ils n'ont pas non plus de problème de nostalgie, car ils ne connaissent l'Église que sous sa forme actuelle. Ils sont tout simplement trop jeunes pour être traditionalistes. Cependant, ils ont vu comment fonctionnent les paroisses aujourd'hui, comment elles célèbrent la liturgie et ce qui reste de leur propre intégration sociale religieuse par la paroisse : peu de choses ! C'est pourquoi ils ne sont pas plus progressistes.
Le catholicisme libéral ou le progressisme depuis les années 70, dernièrement sous la forme du Chemin synodal allemand, a fait son temps d'un point de vue actuel et a conduit l'Église dans une impasse. La frustration est donc grande. Nous pouvons le constater partout. Les messes du dimanche et des jours ouvrables sont principalement fréquentées par des personnes âgées. Les jeunes sont absents, sauf dans quelques rares lieux de culte très fréquentés (hot spots). La réforme se fait toute seule, car plus personne n'y assiste ou n'en lit les résultats, c'est une loi d'airain.
Comment peut-on encore aujourd'hui considérer la réforme postconciliaire de manière aussi peu critique et bornée, au vu de ses fruits ? Pourquoi n'est-il toujours pas possible d'avoir une confrontation honnête avec la tradition et sa propre histoire (ecclésiastique) ? Pourquoi ne veut-on pas voir que nous sommes à la croisée des chemins et que nous devrions revoir nos positions, notamment sur le plan liturgique ?
Être ou ne pas être dans la foi et la vie ecclésiale se décide sur le terrain de la liturgie. C'est là que l'Église vit ou meurt. Les traditionnels et les progressistes l'ont bien compris depuis 1965. Pourquoi alors la tradition a-t-elle le vent en poupe chez les jeunes ? Qu'est-ce qui la rend si attrayante pour eux ? Réfléchissez-y ! On vote avec ses pieds, pas avec les conseils pastoraux. Peut-être devrions-nous simplement changer de direction ! Vous comprenez ?