Notre lettre 1285 publiée le 10 octobre 2025
LES ÉVÊQUES FRANÇAIS
SONT-ILS PRÊTS À LA PAIX
AU VRAI DIALOGUE ET À LA CHARITÉ ?
Depuis l’avènement de Léon XIV, la chose se répète notablement partout : le climat change. Le pape serait un homme de dialogue, un artisan de paix. Finies les phrases inutilement blessantes de François, place désormais à une communication pontificale mettant en avant la douceur, la rondeur et la bienveillance. Pour autant, nul n’est vraiment en mesure de dire, pour le moment, si cette atmosphère nouvelle au Vatican va se traduire en actes. Dit autrement, et dans une analogie toute nationale : Sébastien Lecornu, nouveau premier ministre auquel on prête un sens de l’ouverture certain et une capacité à refuser les œillères, ne pourra en rester là. Pour bâtir un budget, il ne faut pas seulement des éléments de langage et une réputation d’urbanité : il faut encore dialoguer en profondeur et trouver concrètement un terrain d’entente.
Léon XIV semble laisser entrevoir le désir d’une détente avec l’univers traditionnel comme l’analysait notre lettre n°1277. Devant ce changement de paradigme, les évêques de France ne savent plus trop sur quel pied danser. L’attentisme est de rigueur. Dans l’entretien fleuve que le cardinal Jean-Marc Aveline a accordé au quotidien La Croix le mercredi 17 septembre dernier, les observateurs attentifs auront remarqué sa réponse tout en nuance à la question qui lui été posée sur la messe traditionnelle. « Que répondez-vous aux fidèles attachés à la messe selon l’ancien rite ? » lui était-il demandé. De façon significative, le cardinal joue l’apaisement. « Pour la question traditionaliste, dans toute recherche spirituelle – de sacré, de silence, de beauté –, il y a quelque chose de bon qui mérite d’être honoré » et de noter au sujet de Traditionis Custodes, sans qu’il ne puisse lui en coûter puisque François a rendu son âme à Dieu : « La séquence n’a pas été très lisible, j’en conviens ».
Depuis le début de la crise liturgique et donc doctrinale, les évêques ont leur responsabilité. Déjà en 1968, Jean Madiran notait dans son ouvrage majeur L’hérésie du XXe siècle que les premiers fautifs de la débandade catéchétique étaient d’abord les évêques. Qu’en est-il de leurs lointains successeurs ? Si la coercition liturgique du pape François n’a pas été lisible, sinon dans les déchirures qu’elle a provoquées entre les fidèles et les pasteurs, les évêques français sont-ils prêts à offrir de la clarté et sortir, comme Léon XIV le souhaite du piège de « la polarisation au sein de l’Eglise » ? La CEF est-elle prête à faire l’expérience de la conversation dans l’esprit en recevant dans un échange bienveillant les « groupe de personnes qui défendent le rite tridentin » comme Léon XIV a dit publiquement vouloir le faire ?
Il faut l’écrire : le commun des fidèles traditionnels n’aspire qu’à aimer l’évêque du diocèse dans lequel la providence les a placés. Spontanément et sans hypocrisie, ces fidèles mettent le genou à terre pour embrasser l’anneau épiscopal et recevoir la bénédiction de leur évêque. Non parce qu’ils se sentent meilleurs ou davantage observants, mais tout simplement parce qu’ils respectent derrière la mitre, le successeur des apôtres. Il n’en reste pas moins que pour créer les garanties d’un dialogue apaisé et constructif, et offrir ainsi les conditions d’une meilleure lisibilité, il appartient aux évêques de sortir d’une ambiguïté notable. Osons le mot, sans haine ni violence, cette ambiguïté notable porte un nom : elle s’appelle « la mauvaise foi ».
En effet, les fidèles attachés à la messe tridentine n’ont pas oublié le zèle à géométrie variable de l’épiscopat français dans l’application du motu proprio Summorum Pontificum de 2007 et celui de Traditionis Custodes de 2021. Au motif de leur attachement tranquille mais résolu aux rites traditionnels, les fidèles n’ont pas oublié les baptêmes qui ont été refusés à leurs nouveaux nés, les églises dont les portes n’ont pas été ouvertes pour le mariage de leurs enfants, sans compter – scandale plus grand ! – les obsèques interdites pour leurs défunts (et parfois même pour des funérailles d’enfants morts tragiquement, il y a des exemples !). Pour une plus grande paix, les fidèles traditionnels sont prêts à pardonner, à passer l’éponge, à remettre les compteurs à zéro, à repartir sur une feuille blanche. Ils sont prêts, parce que la miséricorde est sans aucun doute le plus beau témoignage de leur attachement à Jésus-Christ.
Néanmoins – car il y a un « mais » – pour sortir de l’ambiguïté d’une mauvaise foi tuant dans l’œuf un éventuel dialogue, il importe que les évêques français soient prêts à écouter les fidèles, sans cléricalisme mais avec pour seul objectif de faire grandir la charité dans le peuple des baptisés qui leur est confié. Est-ce possible ? Les récentes attaques, là encore inutilement blessantes et théologiquement bancales contre l’Association Notre-Dame de Chrétienté et sa défense du Christ-Roi par Mgr de Moulins Beaufort à la fin de son mandat à la tête de la CEF témoignent hélas du manque cruel de dialogue des évêques avec les parties prenantes.
En vérité, nous assistons depuis le début du développement des écosystèmes traditionnels à une méfiance généralisée des autorités ecclésiastiques. Les fidèles attachés à la forme ancienne sont ainsi soumis à un jeu des plus pernicieux : face les évêques gagnent, pile les amoureux de la messe tridentine perdent. La mauvaise foi remportant toujours la mise.
Expliquons-nous. Le rapport de force, entre l’Eglise diocésaine et les écosystèmes traditionnels, tend à se renverser : sur le plan vocationnel, de la jeunesse des communautés paroissiales, de l’investissement des fidèles et de leur implication tant missionnaire que financière. De cela, la plupart des évêques de France s’en inquiètent, oubliant au passage que l’on parle de leurs brebis qui sont tout de même catholiques ! C’est alors que se met en place une dialectique épiscopale digne des meilleurs pharisiens et des plus habiles docteurs de la loi. Les évêques français font en effet deux griefs principaux aux fidèles et au clergé traditionnels. Deux griefs formant les deux revers d’une même médaille, celle de la mauvaise foi.
Soit les fidèles et le clergé traditionnels, soucieux d’une pacification active, participent à la vie des diocèses, se joignent aux différents rassemblements proposés et se fondent dans la masse tout en conservant leur identité tridentine propre.
Soit les fidèles et le clergé traditionnels, soucieux d’une pacification passive, ne demandent qu’à vivre des sacrements anciens et faire le bien là où la providence les a menés. Ils fondent leurs écoles, créent leurs groupes scouts et vivent sans polémique de la foi de leurs pères.
Les premiers sont taxés de faire de l’entrisme, les deuxièmes de l’entre-soi. Les premiers sont suspectés de vouloir radicaliser le paysage ecclésial local, les deuxièmes de constituer une église parallèle.
Les premiers, ce sont les prêtres diocésains qui ont découvert avec émerveillement la cohérence, l’exigence et la transcendance du monde traditionnel, ils souhaitent en diffuser autour d’eux les bienfaits. C’est encore l’implication d’une société de prêtres comme celle des Missionnaires de la Miséricorde Divine à Toulon, sans nul doute la communauté traditionnelle la plus insérée dans le maillage d’un diocèse et pourtant celle, ironie du sort, qui doit subir actuellement le plus d’empêchements pour vivre de son charisme propre. Six diacres, rappelons-le, sont en attente de leur ordination sacerdotale selon le rite traditionnel, conformément à leurs constitutions.
Les deuxièmes, ce sont les fidèles dont le hasard de la vie a fait qu’ils n’ont connu que la Tradition. La notion d’Eglise parallèle leur est tout à fait étrangère, ils ne l’ont d’ailleurs jamais conceptualisée. Il leur semble plutôt qu’une Eglise non pas parallèle mais elle, divergente, se déploie sous leurs yeux lors de cérémonies indignes ou d’enseignements catéchétiques affligeants (il faut nommer les choses). De cette réalité-là, il leur est clair comme de l’eau de roche que jamais les évêques n’en font mention, que rarement les autorités ecclésiastiques s’y opposent. Parfois même, il leur semble que certains y souscrivent...
Sortir par le haut et grâce à un dialogue synodal entre évêques et fidèles, réclame donc au préalable de s’affranchir de cette mauvaise foi qui n’a que trop duré. Sommes-nous prêts à changer notre regard ? Comprenons-nous qu’il n’est pas possible de nous entendre et de dialoguer sans une mise à plat, confiante et sereine, des humiliations et des blessures vécues ? Depuis ses origines, l’univers traditionnel ne demande qu’à s’améliorer mais, pour se faire, il demande de la part des évêques un peu de paternité. Le début d’un commencement de considération. Être respecté comme digne d’exister.
Oui, parlons-nous et rencontrons-nous, dans la charité et la vérité. Faisons œuvre de parrhèsia et disons-nous l’étendue de nos espérances. Du côté traditionnel, de l’espérance nous en sommes remplis à ras bord et de la parrhèsia, nous en avons à revendre. Mettons à plat nos attentes sous le regard de l’Esprit Saint. Les évêques actuels ne sont sans doute pas responsables des errements de leurs aînés mais ils auraient tort d’imiter la mauvaise foi qui a pu être la leur. Si aucun pont n’est construit avec l’univers traditionnel, il est à craindre que le fossé ne continue de se creuser. Est-ce ce que souhaite le pape Léon XIV ?