Notre lettre 1305 publiée le 14 novembre 2025

DOSSIER MARTHE ROBIN ( SUITE)

UNE ENTENTE CORDIALE

AUTOUR D'UN SUPPLEMENT D'INSTRUCTION ?


UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE

Le Père Louis Marie de Blignières, de la Fraternité Saint Vincent Ferrier, a donné à l'Homme Nouveau (n° 1838, du 10/09/2025), son point de vue sur la conduite prudentielle à tenir face à Marthe Robin (1902/1981), et à la controverse que sa désignation comme Vénérable en 2014 par le pape François a activée, volens nolens, depuis cette date. L'ensemble des écrits à charge comme à décharge, recensés notamment par une enquête du journal « Le Monde », cet été 2025, en cinq volets ( lien vzers la Lettre PL 1257 ) conduisent ce quotidien respecté à ne pas trancher, comme si, inspiré par Flaubert, il faisait sien son aphorisme, « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Dévots inattendus, les enquêteurs du « Monde » laissent à Rome le dernier mot.

Le groupe de travail indépendant sollicité par les Foyers de Charité, et placé sous la conduite du Pr Florian Michel, a commencé ses travaux en 2025 ; il doit exposer ses préconisations sous deux ans. Le fondateur des dominicains de Chéméré en Mayenne plaide d'ores et déjà, eu-égard à sa connaissance du dossier, pour la suspension de la procédure canonique jusqu'à nouvel ordre. Il paraît difficile, sauf à débusquer quelque conflit d'intérêt, de ne pas approuver ce moratoire, qui n'a rien de dilatoire, bien au contraire.

C'est donc tout à l'honneur de Philippe Maxence, directeur de l'Homme Nouveau, d'avoir prêté ses colonnes à l'expression d'une opinion qui pouvait froisser une partie de son lectorat, fût-elle exprimée avec une délicatesse notable. Il rappelle que Marcel Clément (1921/2005), son prédécesseur à la tête du hi-mensuel, faisait partie des plus fameux zélateurs de Marthe Robin, et que le périodique était un compagnon de route des Foyers de Charité. A charge d'une cordialité analogue, une sorte de droit de réponse est accordé, l'un à François-Xavier Clément, l'autre à l'historien Yves Chiron, dans l'HN n°1841, du 25/10/2025.

François-Xavier Clément, neveu du défunt directeur, prend à son compte l'argumentaire des convaincus, et s'adosse à l'autorité de la chose jugée. Certes, concède-t-il, la déclaration de vénérabilité n'est pas irréversible, mais les témoins conquis par la paysanne alitée de la Galaure sont d'une qualité qui fait foi, et d'un nombre à l'avenant. L'acerbe De Meester (1936/2019), d'outre-tombe, ne dévoile rien qui n'ait été déjà connu des instructeurs romains, et mis en perspective, c'est à dire écarté. Douter de la Congrégation pour la cause des Saints, « cela sousentendrait que le travail de la congrégation romaine n'a pas seulement été bâclé, mais orienté à dessein. » Eh bien, reconnaissons le, voilà un enjeu bien ciblé. Le fond du problème est, de fait, le suivant : peut-on faire confiance à Rome ? Ou, à tout le moins, jusqu'où ?

Du reste, un moratoire n'est pas récusé par principe : « Laissons le temps faire son oeuvre et purifier ce qui a besoin de l'être ». De quoi s' agit-il ? Le très urbain contradicteur en tient pour un clivage à effectuer entre l'intouchable Marthe, et « l'histoire des hommes qui ont dirigé les Foyers de Charité »... durant un demi-siècle. Mais alors, quid de cette voyante qui n'a rien vu ? Et dont le frère partageant la ferme s'est suicidé en 1953 sans que quelque empathie n'ait un effet dirimant sur ce geste tragique. Marcel Clément lui-même en fut fort accablé. Ajuste titre. Marthe, quant à elle, le déclare sauvé, de source sure. Le Père Finet aurait-il eu cet aplomb ?

L'historien Yves Chiron, quant à lui, ne manque pas de recul. Il sait que sous le pseudonyme de Gabriel de Seinemont, qui sonne bien du reste, le Père de Blignières avait confié à la revue « Forts dans la Foi » du Père Noël Barbara, une étude détaillée à l'encontre de l'enseignement dispensé par les Foyers de Charité durant les retraites qu'ils multiplient. Nous sommes en 1977, et, substantiel, l'article sera diffusé en brochure. Selon Yves Chiron, le futur dominicain, après avoir colligé 18 erreurs théologiques, estimait que Marthe Robin présentait, selon une probabilité dominante, des « phénomènes préternaturels (qui) existent et sont d'origine diabolique ». « Ce qui n'empêcherait pas Marthe Robin d'être « de la plus parfaite bonne foi » et de faire preuve « de bon sens » et de « la grande intuition qu'on lui reconnaît généralement ».

Arrêtons nous un instant sur ce paradoxe ? Comment attribuer à Marthe « la grande intuition qu'on lui reconnaît généralement » sans inclure ce talent hors norme dans les phénomènes préternaturels diaboliques dont on affirme la probabilité prévalente ? Pour le dire autrement, si le démon est à l'oeuvre dans la phénoménologie de Marthe Robin, et pas seulement comme le tourmenteur extérieur qu'elle dénonce et redoute, quel tri effectuer à bon droit ? Le Père De Meester est, pour sa part, plus logique lorsqu'il conclut que de Marthe Robin, il n'y a « non seulement rien à vénérer, mais aussi à conserver ».

Revenons à Yves Chiron. Près de cinquante ans plus tard, le Père de Blignières peut adopter sans peine les conclusions drastiques du défunt carme belge, publiées en 2020. Les emprunts non signalés comme tels à des mystiques identifiables par des experts, la mort troublante, incompatible avec une paralysie complète, l'inédie mise en doute par des témoignages formels, tout cela n'était pas connu en 1977, Marthe étant décédée en 1981. L'historien s'emploie à relativiser le grief de plagiaire, en citant des exemples d'emprunts chez d'autres inspirés, mais selon le ratio « un cheval/une alouette » comparés à ceux de Marthe. Toutefois, sa conclusion va dans le sens d'un « supplementum » et la position actuelle du Père de Blignières est rappelée sans désaveu : « Le mouvement des révélations et des mises au point qui s'accomplit sur ce dossier est salutaire. Il illustre l'importance d'une extrême crédibilité, fondée sur des enquêtes médicales et canoniques indubitables pour l'acceptation de « phénomènes extraordinaires ».

Et l'historien de se joindre, somme toute, à ses deux interlocuteurs, pour un consensus ainsi défini « Nul doute que la multitude des livres critiques et accusateurs sur Marthe Robin et les Foyers de Charité parus depuis l'étude du Père De Meester, et la suspension de la cause de béatification, obligent le Dicastère de la Cause des Saints à reprendre l'enquête sur de nombreux points et à publier un Supplementum. » Si nous incluons François-Xavier Clément dans le trio, qu'il ne nous en veuille pas. « Laissons le temps faire son oeuvre et purifier ce qui a besoin de l'être », n'est ce pas requérir le Supplementum, sous la responsabilité du Dicastère compétent ?

Dans ce débat de bonne compagnie, entre catholiques, la recherche de la vérité est au coeur des consciences. Mais dans un supplément d'enquête digne de ce nom, il y a l'écueil de lacunes, hélas irrémédiables, notamment sur le plan médical. Le bilan médical de 1942, par le Pr Dechaume, est largement repris et détaillé par Jean-Jacques Antier, l'un des premiers biographes de Marthe. L'examen est plus détaillé que ne le concède le Père De Meester. Et cet examen est négatif, c'est à dire qu'aucun trouble neurologique n'est identifié. Le Pr Dechaume préconise, tout comme le psychiatre Assailly en 1951, et comme l'exigera Mgr Marchand en 1980, une observation continue sur plusieurs jours, en milieu hospitalier. Cette observation n'aura jamais lieu. Marthe Robin, pour l'Histoire, c'est cinquante ans d'esquive médicale.

Quant aux 18 erreurs théologiques dépistées en 1977 par le Père de Blignières, selon Yves Chiron, faut-il les passer par pertes et profits ? L'exactitude de la foi n'est elle plus le critère premier d'une validation ecclésiale ?

Si Joachim Boufflet forme, dans « Marthe Robin, le verdict » (2021), l'hypothèse de personnalités multiples, dont nous ne commenterons pas la plausibilité ici, ne saurait elle être rapprochée des phénomènes préternaturels démoniaques avancés par le Père de Blignières, alors même que tous deux veulent innocenter Marthe? Personne, à l'exception de notre consoeur Élisabeth Chevassus ( Image de la couverture de son livre à la fin de cet article ), ne se risque à rendre compte de la cassure dramatique de l'automne 1918, selon une hypothèse enfin à la hauteur, et que seuls les ultimes survivants pourraient confirmer ou infirmer, pour soulager leur conscience, et faire honneur à la vérité d'une vie blessée. Le Père de Blignières, qui dévoile l'hypothèse de la consoeur, à savoir celle d'un avortement imposé par les parents, balaie cette même hypothèse, sans rien proposer de plus convaincant...

En l'état actuel du débat public, l'accord sur un supplément d'enquête gèle le statu quo. Lequel établit que Marthe Robin est Vénérable jusqu'à nouvel ordre. Telle est la pierre dans le jardin des détracteurs. L'Église, en la personne du pape argentin, s'est engagée. Elle a pris un risque énorme. Marthe, ayant la prescience d'un Concile grimé en Pentecôte d'amour, lequel a brisé la Chrétienté occidentale, aura été jugée par le Juste Juge, bien avant que le Supplementum n'en constate les prétentions et en répare les dégâts.


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